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Etre ici est une splendeur, vie de Paula M.Becker

Cette femme que je n’ai pas connue me manque. […] 
Je veux montrer ses tableaux. Dire sa vie. Je veux lui rendre plus que la justice : 
je voudrais lui rendre l’être-là, la splendeur.

Marie Darrieussecq, Être ici est une splendeur- Vie de Paula M. Becker, P.O.L, 2016, p.137

Rencontres

avril 2016, Marie Darrieussecq est l’invitée de Kathleen Evin dans l’Humeur Vagabonde, sur France Inter, pour Etre ici est une splendeur – Vie de Paula M. Becker publié chez POL et pour l'exposition Paula Modersohn-Becker - L'Intensité d'un regard au Musée d'Art Moderne du 8 avril au 21 août 2016.

Sa voix m’interpelle, je suis saisie par ce qu’elle raconte : la vie d’une jeune femme peintre dans l’Allemagne du début du XXe siècle. Je ne connaissais pas Paula Modersohn-Becker, sitôt l’émission terminée, je cherche des images de ses peintures sur internet. Je découvre avec émerveillement ses portraits et autoportraits, ses fleurs, ses couleurs…

Je lis Être ici est une splendeur – Vie de Paula M. Becker. Les mots de Marie Darrieussecq, précis, épurés, profonds, ont beaucoup de saveur. Ils me parlent du désir de créer au féminin, ils résonnent fort.

Je vais voir l’exposition à Paris, je rencontre avec beaucoup d’émotion la peinture de Paula : l’intensité de ses visages, l’audace de ses cadrages, la singularité de son geste, à la recherche de sa vérité.

J’ai envie de mettre en scène Être ici est une splendeur – Vie de Paula M. Becker. J’écris à Marie Darrieussecq pour lui demander la permission. Elle me répond : « Bien sûr, vous avez mon accord pour faire vivre Paula sur une scène. Je suis toujours dans la joie d’avoir contribué à la faire connaître ».

Lise Achard

Paula et Marie

« Paula Modersohn-Becker voulait peindre et c’est tout. Elle était amie avec Rilke. Elle n’aimait pas tellement être mariée. Elle aimait le riz au lait, la compote de pommes, marcher dans la lande, Gauguin, Cézanne, les bains de mer, être nue au soleil, lire plutôt que gagner sa vie, et Paris. Elle voulait peut-être un enfant - sur ce point ses journaux et ses lettres sont ambigus. Elle a existé en vrai, de 1876 à 1907.
Paula Modersohn-Becker est une artiste allemande de la fin du XIXème siècle, peintre, célèbre en Allemagne et dans beaucoup d'autres pays au monde, mais à peu près inconnue en France bien qu'elle y ait séjourné à plusieurs reprises et fréquenté l'avant-garde artistique et littéraire de son époque. Née en 1876 et morte en 1907 des suites d'un accouchement, elle est considérée comme l'une des représentantes les plus précoces du mouvement expressionniste allemand. »
« La biographie que lui consacre Marie Darrieussecq reprend tous les éléments qui marquent la courte vie de Paula Modersohn-Becker. Mais elle les éclaire d’un jour à la fois féminin et littéraire. Elle montre, avec vivacité et empathie, la lutte de cette femme parmi les hommes et les artistes de son temps, ses amitiés (notamment avec Rainer Maria Rilke), son désir d’expression et d’indépendance sur lesquels elle insiste particulièrement. »
« Marie Darrieussecq est née le 3 janvier 1969 au Pays Basque. Elle est écrivain et psychanalyste. Elle vit plutôt à Paris. »

Editions POL 

Extrait

Paula dort à son atelier quand Otto n’est pas là. Elle y dîne d’œufs à la coque et de compote. […] Ou encore « du riz au lait avec des pommes cuites en quartiers et des raisins secs ». Ou simplement des poires et du pain et du fromage. Ces repas rustiques ou enfantins, Paula les peint : du laitage dans une belle assiette émaillée bleu et blanc. Une baguette parisienne sur une nappe éclatante et savamment plissée. […]
Et elle lit en dînant, bonheur des solitaires. […] Et elle s’émerveille de se trouver toujours si « extrêmement heureuse, quand Otto n’est pas là ». […] elle redevient Paula Becker. Et ça, c’est un délice. »


Marie Darrieussecq, 
Être ici est une splendeur- Vie de Paula M. Becker,
P.O.L, 2016, pp 83-84



Dramaturgie : du récit au théâtre

Le texte de Marie Darrieussecq, nourri de lettres et de journaux intimes, est à la fois un récit biographique et une réflexion esthétique. Comment faire théâtre de cette matière ?
La poésie de la langue ne suffit pas.
Nous pensons d’abord mettre en scène les duos et les trios en jeu dans la vie de Paula (Paula et son amie Clara ; Paula et son mari Otto ; Paula, Clara et Rainer Maria Rilke), mais à lire et relire le texte, c’est le combat de Paula pour exister en tant que peintre qui s’impose comme enjeu essentiel du texte, nous orientons donc notre travail vers un parcours solitaire. 
Nous coupons le texte, changeant seulement parfois quelques pronoms pour passer du « Elle » au « Je », et inversant à deux ou trois reprises l’ordre des phrases. 
Nous ne gardons que l’essentiel du contexte social, familial, artistique. Nous sacrifions (parfois à regret) des épisodes de sa vie, certaines facettes de ses relations, et des mises en perspectives historiques, politiques et artistiques, opérées par l’auteur.
Nous privilégions la démarche artistique de Paula : son goût pour le dessin, son apprentissage à Worpswede et à Paris, ses rencontres esthétiques (les portraits du Fayoum, Rodin, Cézanne…), le face à face avec ses modèles (les paysannes, les orphelins, les vieillards, et elle-même), la recherche de la forme, de la couleur, le combat de la création (le temps et l’espace à soi, l’indépendance financière).

Mise en scène : habiter le texte

A mesure que nous construisons la dramaturgie, se dessine un dispositif scénique. Ce que nous voulons montrer, c’est le combat de Paula Modersohn- Becker pour exister en tant que femme peintre. Un parcours solitaire, incarné par une femme seule en scène. Nous ne voulons pour autant pas en faire un monologue, car la voix de Paula n’est pas celle des mots mais celle de la couleur. La voix qui nous touche avec ses mots, c’est celle de Marie Darrieussecq.
Nous imaginons donc le spectacle comme la rencontre du corps de Paula : se vêtant et se dévêtant, se regardant, posant et dansant, peignant, déménageant, mangeant, et de la voix de Marie Darrieussecq qui raconte, retrace, dit l’émotion, met en perspective. 
En contre point, les voix enregistrées (passées, dépassées) de Rainer Maria Rilke et d’Otto Modersohn.
A partir du moment où nous refusons d’illustrer le récit de la vie de Paula, il nous faut trouver jeux et images scéniques qui viendront habiter le texte. C’est dans la manipulation de la peinture et les variations autour de l’acte de peindre que nous les trouverons. Sur la scène, les cadres et les panneaux sont à la fois les supports de la peinture, les murs, les bordures, les miroirs, les surfaces de projection.
La question de montrer ou non les œuvres de Paula s’est vite posée. Un spectacle sur une peintre, doit-il nécessairement montrer ses œuvres ? Et si oui, de quelle manière ? Marie Darrieussecq, elle-même, dans son livre, évoque et décrit les tableaux sans en proposer de reproductions. Ce faisant, elle suscite la curiosité du lecteur et l’invite à aller les découvrir par lui-même.
D’autre part, montrer trop d’images peut alourdir le spectacle et bloquer l’imaginaire. Difficile pourtant de ne rien montrer. Nous choisissons donc de multiplier les dispositifs, décrivant les tableaux, montrant leur réalisation par fragments, les évoquant par des postures, s’en inspirant pour dessiner et peindre sur scène, projetant enfin l’image de quatre peintures de Paula ; à la fin du spectacle. 

Note d’intention

Ce spectacle transfigure deux pratiques artistiques solitaires : la littérature et la peinture. Il met en scène la rencontre entre Marie Darrieussecq, l’écrivain, et Paula Modersohn Becker, la peintre, dans un aller-retour entre la lecture et le geste. A la suite de Marie Darrieussecq, ce spectacle pense la place de la femme à la fois dans la société et dans les milieux artistiques du début du XXe siècle, en résonance avec les aspirations et les réflexions de la société contemporaine.
Il montre comment le désir de créer peut en engendrer un autre. Comment la « trame douce et vibrante » que Paula sentait en elle, a trouvé à s’exprimer dans la prose poétique de Marie puis à s’incarner dans le jeu de la comédienne. Il y a là un enchaînement et une continuité du désir de créer chez trois femmes, chacune avec le savoir-faire qui est le sien, et qui cherche à exprimer la singularité de son regard.
Une femme à son bureau regarde une femme sur la scène. La femme est à son atelier. Elle ouvre et presse les tubes, elle mélange et malaxe et étale, joue de la détrempe et de l’empâtement, trace des contours, met de la couleur, crée des nuances. 
Le théâtre vient évoquer et montrer cette pratique-là, en la transposant dans son économie et son rythme propres. La femme installe, manipule, déplace : le chevalet, les panneaux, les pots de peinture. Elle s’affronte à la matérialité de la scène qui condense l’espace et le temps de la vie de Paula en une heure. 
La dramaturgie va à l’essentiel : Paula et son désir de peindre, Paula et ses difficultés à trouver son chemin, à exister en tant que femme artiste. Elle évacue tout le reste. 
Le spectacle est un parcours, une chorégraphie, une performance, dans une scénographie à la fois théâtrale et muséale où surgissent des images, matérielles, virtuelles et symboliques, sur toutes les surfaces disponibles : feuilles blanches, toiles sur châssis, panneaux de bois, drap étendu.




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